La justice résolutive en France retour d’expériences

A l’occasion du séminaire organisé par l’Ecole Nationale de la Magistrature le 3 et 4 décembre 2020, auquel l’Îlot a assisté, un premier bilan a pu être dressé concernant les juridictions résolutives de problèmes françaises.

En France, on compte 27 juridictions résolutives de problèmes en décembre 2020. La plupart des juridictions traitent de la délinquance liée à l’addiction mais certaines s’adressent également aux violences intra-familiales, et peuvent traiter d’autres sujets comme c’est le cas aux Etats-Unis.

Les expérimentations en France

Depuis 2015, la MILDECA (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) a soutenu
• le projet pilote du TGI de BOBIGNY
• de nombreuses formations organisées par l’Ecole nationale de la Magistrature.
Carte JRP
Par ailleurs, d’autres juridictions en France se sont saisies de ce nouveau modèle d’intervention que ce soit côté parquet, dans le cadre d’alternatives aux poursuites ou côté juge, avec l’application des peines. Pour l’instant la plupart des JRP françaises fonctionnent en présentenciel et permettent d’éviter un passage en prison.
Ces expérimentations s’adaptent au contexte local :
• Différents profils pour l’entrée dans le dispositif, présentant dans la grande majorité des cas des problèmes de santé importants (multirécidivistes avec un parcours de polytoxicomanie à Bobigny, consommateurs d’alcool à Soisson, troubles psychiatriques à Lyon)
• Différents types de peine : contrainte pénale, contrôle judiciaire…
• Diversité des partenaires locaux : par exemple, dans le cas du projet pilote de Bobigny, interviennent l’équipe médico-sociale rattachée à un Centre de Soin, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), une équipe du Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) et des personnels d’associations proposant des activités culturelles et sportives.

Pour quel public ?

La justice résolutive de problèmes est destinée principalement aux personnes souffrant d’addictions, multi-récidivistes, et souvent désocialisées. Des situations très critiques voire chaotiques, où la personne est enfermée dans un cercle vicieux de délinquance, sanction, prison à répétition. Dans ces cas-là, la prison ne permet pas la réinsertion et l’arrêt de la récidive. La justice résolutive de problèmes propose une approche globale, multidisciplinaire, qui se révèle plus efficace pour les personnes souffrant d’addictions. Cette performance est rendue possible grâce à un suivi au plus près de la personne par l’ensemble des intervenants, ce qui n’est pas toujours possible en prison où les drogues circulent toujours et le personnel médical en sous effectif.
Aujourd’hui on voit se développer des juridictions résolutives de problème qui traitent aussi des personnes mises en causes dans des affaires de violences conjugales, ou de délinquants souffrants de problèmes psychiques.

Les conditions du succès

Guichet unique
Pour que la justice résolutive de problèmes fonctionne, elle doit disposer d’un local adapté, accessible et central. La localisation de la juridiction résolutive de problèmes n’est pas accessoire : l’éloignement géographique du justiciable aux institutions est un facteur important d’échec. L’assiduité de la personne se trouve nettement améliorer quand l’accès aux acteurs de la réinsertion est proche, et lorsqu’elle est également facilitée par la distribution gratuite de titres de transport.

Partenariat Justice/Santé
Le public ciblé par la justice résolutive de problèmes se trouve à mi-chemin entre la justice et la santé. La personne est d’abord connue à cause de l’infraction commise et des poursuites engagées contre elle, puis rapidement l’enquête de personnalité révèle une problématique d’addiction qui entraîne souvent à une obligation de soins. Dans la justice résolutive de problèmes, les acteurs du soin et de la justice se coordonnent et travaillent ensemble. La problématique du secret médical disparait grâce au secret partagé entre professionnels du soin et de la justice après accord de la personne.
Les juges et procureurs sont sensibilisés à la question de l’addiction. Ils savent que la rechute fait partie du processus de guérison et sont plus souples lorsque la personne continue à consommer un produit interdit.

Financement pérenne du programme
La juridiction résolutive de problèmes de Valenciennes a comparé le coût que représente la prise en charge d’un justiciable dans le cadre de la justice résolutive de problèmes : environ 2,40€ par jour contre 100€ par jour en prison. Or, tout porte à croire que la justice résolutive de problèmes a un impact sur la réduction de la récidive nettement supérieur à un séjour en prison. Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, a accepté de financer des dispositifs de justice résolutive de problèmes sur son territoire après avoir été convaincu par Jean-Philippe VICENTINI, procureur de la République au tribunal judiciaire de Valenciennes. Il se félicite aujourd’hui « des vrais résultats ». Une convention triennale est signée entre les partenaires et donne le temps aux élus d’évaluer les bénéfices des juridictions résolutives de problèmes sur leurs territoires. C’est ainsi que Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône s’engage à renouveler la convention en 2021, conscient des avantages et résultats de ce dispositif sur le maintien de l’ordre public.

L’entretien motivationnel
Deux psychologues et professeurs d’université, William R. Miller et Stephen Rollnick, ont conceptualisé cette forme d’entretien au cours des années 1980 pour le traitement des dépendances à l’alcool et qui s’adapte aujourd’hui à toute forme d’addiction.
D’après Mélanie Leduc, première substitute à l’administration centrale du Ministère de la Justice et ancienne juge de l’application des peines au TGI de Bobigny, l’entretien motivationnel est un état d’esprit plus qu’une méthode. Pour autant cet outil nécessite une formation pour la pratiquer, ce que propose la Fédération Citoyens & Justice. Il s’agit de faire avec l’autre et non pas de prendre des décisions à la place de l’autre. On utilise les forces vives de la personne pour aller vers le changement, vers une meilleure solution pour la personne et la société.

Les bénéfices de la justice résolutive de problèmes

Grâce au recul et à l’expérience, on peut dégager les grandes forces de cette justice innovante.
Pour la personne placée sous main de justice souffrant d’addictions, l’intérêt est clair : un taux de sevrage beaucoup plus élevé comparé à ceux ne bénéficiant pas de l’accompagnement, grâce à une prise en charge médicale de l’addiction. La justice résolutive de problèmes, parce qu’elle est proposée à la personne mise en cause à la place d’une peine d’emprisonnement, évite un passage en prison bien souvent désocialisant. Elle résout un à un les problèmes que rencontre la personne qui reste actrice de sa réinsertion. L’estime de soi se trouve nettement améliorée.

« Si j’avais eu la chance dès le début d’avoir un dispositif comme celui-ci aujourd’hui, il n’y aurait pas eu de récidive. L’alcool c’est terminé. Aujourd’hui je travaille, je ne suis plus tenté par l’alcool. » Xavier* condamné à 21 reprises depuis 1998.

Pour les professionnels et notamment les juges, il s’agit de sortir de la figure classique de l’autorité pour amener la personne à parler de ses problématiques. Le juge n’est plus uniquement dans la sanction mais dans l’accompagnement au changement, notamment à travers une autre façon de s’adresser à la personne placée sous main de justice. Il utilise la pratique de l’entretien motivationnel qui est une méthode de communication utilisée pour augmenter la motivation intrinsèque au changement.
Une meilleure coordination entre institutions permet une prise en charge plus efficace de la personne placée sous main de justice. Les échanges sont fluidifiés grâce à une acculturation des différents acteurs. L’articulation étroite entre le soin, la justice, l’accès à l’emploi et au logement entraîne un respect réciproque entre acteurs de la réinsertion, bénéficiant au final au justiciable.

La justice résolutive de problèmes est considérée par ses acteurs comme l’avenir du droit pénal. De nombreux bénéfices découlent de cette approche humaniste : elle évite la récidive, prend en charge efficacement l’addiction, fait évoluer les pratiques professionnelles vers une meilleure coordination entre acteurs. La justice résolutive de problèmes créé une véritable communauté de soutien pour sortir la personne de la délinquance.
L’action de l’Îlot est très proche de celle de la justice résolutive de problèmes : notre accompagnement socio-éducatif prend en compte tous les aspects de la réinsertion dans un projet individualisé. Nous attachons une grande importance à tisser des partenariats avec des centres de soins, des associations culturelles, des entreprises, l’Administration pénitentiaire pour répondre à cet enjeu de taille qu’est la réinsertion des personnes placées sous main de justice.
Vivement intéressée par cette approche, l’Îlot souhaiterait expérimenter la justice résolutive de problèmes dans la phase post-sententielle, encore peu développée en France qui a d’abord mis l’accent sur le pré-sententiel, afin de faire bénéficier de cette démarche les personnes en aménagement de peine.

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