Pouvez-vous vous présentez ?
J’ai un parcours professionnel atypique avec plus de trente années d’expérience professionnelle. J’ai pu travailler en psychiatrie, avec des mineurs et des jeunes de la rue, en investigation pour les juges des enfants à Amiens. Aujourd’hui je travaille à l’Îlot, auprès du monde de la justice adulte et avec les Juges d’Application des Peines (JAP).
En quoi consiste votre travail à l’Îlot ?
Avec l’équipe de travailleurs sociaux, notre rôle consiste à accompagner les résidents dès leurs arrivées. 70% des personnes accueillies viennent de la justice : ils sortent d’incarcération, sont sous-main de justice ou suivis par la justice. Nous les accueillons avec attention et bienveillance, ils ont « le gîte et le couvert » en quelque sorte. Notre équipe est également composée d’un assistant social et d’éducateurs spécialisés qui proposent un accompagnement personnalisé. Le but est de nous rapprocher au plus près de leurs désirs et de leurs projets afin d’évaluer avec eux ce qui est réalisable. Nous essayons de les amener à se réinsérer, à entrer dans une vie sociale afin qu’ils puissent nous quitter en ayant acquis des repères.
Quelles sont les différentes problématiques de santé rencontrées par les résidents du CHRS ?
La majorité des problématiques rencontrées par les résidents du CHRS se situent entre une fragilité psychologique et une fragilité somatique. En effet, la plupart d’entre eux n’ont pas pu bénéficier de soins somatiques pendant leur incarcération. Dans un centre d’hébergement ils sont accompagnés dans leurs démarches administratives afin d’ouvrir leurs droits, notamment ceux à la sécurité sociale. C’est aussi l’occasion de bénéficier de soins courants, de rencontrer un médecin référent, ou d’aller chez le dentiste…
De par leurs parcours et leurs histoires, beaucoup présentent une fragilité psychologique, que la maison d’arrêt n’a pas su guérir. Nous les accueillons à leurs sorties avec ces souffrances, auxquelles s’en ajoute une autre, la découverte de cette liberté nouvelle, qui peut être angoissante.
Pour parer à cela, nous mettons en place une relation éducative avec eux afin qu’une confiance s’installe. Nous les accompagnons en leur expliquant l’importance de parler et nous les convainquons d’aller voir un psychologue ou de bénéficier de soins psychiatriques avec des traitements médicamenteux.
Les personnes ont bien souvent des addictions, multiples, à l’alcool, aux produits stupéfiants. Nous accueillons beaucoup de personnes qui sont très dépendantes, cela peut entrainer des tensions voire de la violence au sein de l’institution, il faut donc être vigilant.
Existe-t-il des problématiques de santé plus spécifiques aux personnes ayant connu la prison ou sous mains de justice ?
Les personnes sous mains de justice ou ayant un vécu carcéral, souffrent de problématiques antérieures à la prison : un passé chaotique souvent douloureux, une enfance meurtrie, des viols parfois. Ces démons, qu’ils n’ont pas pu guérir, reviennent lorsqu’ils sont adultes et sont amplifiés en milieu carcéral.
Nous accueillons la personne comme elle est, avec son histoire. Nous essayons petit à petit de nouer une relation de confiance, afin de l'amener à travailler, à réfléchir, à prendre du recul par rapport à son histoire.
Grâce à notre formation, nous sommes spécialisés dans cette adaptation à l’autre, c’est le quotidien de notre travail.
Existe-t-il des partenariats entre des institutions de santé à Amiens et le CHRS des Augustins ?
Il y a un réel partenariat entre le CHRS Les Augustins et le personnel médical amiénois notamment avec le Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). L’addictologie c’est la dépendance à un produit toxique, mais également la dépendance aux jeux, à la sexualité…
Dans un CSAPA intervient une équipe pluridisciplinaire, composée d’un psychologue, d’une infirmière, d’un médecin addictologue et parfois d’un psychiatre. Cette équipe va accueillir notre résident, le prendre en charge, et l’accompagner grâce à des rendez-vous individuels, des traitements. Ensuite, un retour de ces entretiens est fait par le résident lui-même, ainsi que par l’équipe. Cela nous permet de mesurer les écarts, entre les dires du résident auprès du centre de soins et ce qu’il va verbaliser auprès de nous.
Le CHRS est aussi en partenariat avec l’hôpital psychiatrique Philippe Pinel d’Amiens. Nous travaillons avec des centres de cure, des centres de post-cure, l’hôpital, la médecine et la pharmacie de ville. Le partenariat avec la pharmacie est important pour procurer aux résidents des substituts de médicaments parfois difficile à trouver.
En tant que travailleur social comment aidez-vous les résidents à reprendre soin d’eux ?
Je dirais que c’est dans la confiance qu’on leur apporte, dans le regard que l’on a sur eux, dans l’attention et la bienveillance que nous leur apportons. Si le résident ressent cet altruisme, alors il pourra commencer à reprendre soin de lui.
Cette relation de confiance, sur laquelle j’insiste beaucoup et qui est au cœur de notre métier, nous permet aussi d’interpeller la personne, de lui dire, à un moment donné « il faut que tu prennes soin de toi ».
Nous bénéficions de dons notamment vestimentaires permettant aux résidents de choisir leurs vêtements. Entretenir un échange quotidien, leur demander comment ils vont, aller leur parler dans leur chambre, c’est aussi un moyen de les aider à reprendre soin d’eux et à s’estimer.
Nous avons la chance d’avoir des bénévoles qui interviennent dans la structure, en proposant différents ateliers, comme la relaxation, la sophrologie. Ces ateliers permettent aux résidents qui le souhaitent de se détendre, de mieux se connaître, d’apprendre à gérer leur stress avant de passer un entretien, ou d’éviter de boire de l’alcool le soir, de mieux supporter le collectif, l’absence de la famille, des enfants...
Pourquoi est-ce important que les résidents prennent soin d’eux dans leur parcours de réinsertion sociale ?
Il est indispensable de les aider à affronter le monde extérieur, la société, le regard de l’autre. Bien souvent, pour les personnes qui sortent de prison, elles ont l’impression que les gens les regardent, qu’ils savent qu’elles sortent d’incarcération.
Nous les accompagnons dans la reprise de contact avec leur famille et ainsi leur permettre de renvoyer une nouvelle image que celle de leur condamnation et de leur peine de prison. Bien souvent la famille juge durement la personne qui a été condamné. Dans ce sens, c’est la double peine.