Ce 27 février 2020, l’OIP a organisé un colloque intitulé « Repenser le travail en prison ». Il part du constat que depuis 1987, le travail en prison n’est plus obligatoire et est censé préparer à la réinsertion : il doit offrir aux personnes détenues une expérience et une qualification utiles à la sortie, de quoi vivre dignement en prison et proposer une activité pour éviter le désœuvrement que connaissent les personnes emprisonnées en moyenne 22 heures sur 24 dans leurs cellules. Dans la réalité, il en est tout autrement : les tâches proposées sont le plus souvent extrêmement éloignées du marché de l’emploi, sous-payées, peu qualifiantes et peu valorisantes. Les personnes détenues travaillent à l’ombre du droit et ne bénéficient d’aucun statut ni contrat.
Le constat du Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL)
En février 2017, le Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté a rendu un avis concernant le travail et la formation en prison où sont constatées de nombreuses insuffisances, notamment en ce qui concerne :
- Les opportunités de travail
- Une grande hétérogénéité des offres et des conditions de travail d’un établissement à un autre
- La baisse du taux de personnes détenues ayant accès au travail, passant ainsi de 46% en 2000 à 29% en 2017
- une offre d’emplois insuffisante
- Les conditions d’accès
- Pas de traçabilité des demandes d’accès au travail des personnes détenues
- Pas d’informations diffusées au sein des établissements pénitentiaires sur les possibilités d’activités professionnelles
- Pas de bilan de compétences
- des critères d’accès au travail flous et fluctuants selon les établissements qui représentent des risques de discrimination.
- Pour les femmes, des conditions de travail et son accès encore plus mauvaises à cause notamment à la problématique de circulation dans les établissements mixtes ; les stéréotypes de genres sont reproduits en milieu carcéral
- Une exclusion de l’accès au travail des personnes isolées et vulnérables
- Les conditions de travail
- des activités proposées majoritairement abrutissantes et pénibles
- un travail sous-rémunéré et payé à la pièce, malgré l’interdiction de cette pratique
- Pas d’accès au numérique
Pour le CGLPL, les conditions de travail en détention devraient se rapprocher le plus possible des conditions extérieures, comme il est mentionné dans le code de procédure pénale. Or l’un des objectifs du travail pénitentiaire est de viser à la resocialisation et à la réinsertion des personnes détenues. Puisqu’il s’agit de leur permettre d’acquérir ou de maintenir des chances réelles de réinsertion professionnelle à leur sortie, un rapprochement avec le droit commun du travail est nécessaire.
L’expérience de Stéphane, détenu à Fleury-Mérogis de 2014 à 2018
Stéphane, ancien détenu à Fleury-Merogis est intervenu lors du colloque pour évoquer son expérience du travail en prison. Il a rappelé qu’en prison tout est payant : communiquer, se laver, louer un réfrigérateur, acheter des produits à la cantine. « C’est une priorité de travailler pour essayer de vivre dignement en prison et rembourser les parties civiles ». Stéphane a donc entrepris toutes les démarches nécessaires pour demander à l’administration de lui accorder un travail. Après 4 mois à écrire toutes les semaines pour accéder à un emploi, il peut enfin rejoindre un atelier de production géré par un concessionnaire, c’est-à-dire une entreprise privée, où son emploi consiste à trier des bouchons pharmaceutiques et à retirer ceux présentant des rayures. Cette activité répétitive et payée à la pièce (ce qui est interdit*) lui permet de gagner environ 200€ par mois dont une partie est automatiquement attribuée au remboursement des parties civiles et à la constitution d’un petit pécule en prévision de la sortie.
La pression est forte à l’atelier où il est interdit de s’asseoir et où à la moindre contestation un détenu risque de se voir retirer son travail. De ce travail digne des Temps Modernes de Charlie Chaplin selon ses termes, Stéphane en garde une impression d’injustice et des séquelles ophtalmologiques avec une vue diminuée.
A l’Îlot, notre réflexion sur le travail en prison
Le travail en prison est une thématique qui nous tient à cœur, à l’Îlot, car nous sommes persuadés que la formation et l’activité professionnelle en détention peuvent contribuer à améliorer les chances de réinsertion. Nous l’avons évoquée lors de notre colloque « Construire la réinsertion dès l’exécution de la peine », organisé au Palais du Luxembourg le 27 septembre 2019 à l’occasion du 50ème anniversaire de l’association.
L’emploi est à la fois un droit et un facteur de réinsertion essentiel pour retrouver sa place dans la société et renouer avec l’estime de soi. Un certain nombre de personnes détenues a un rapport très éloigné au travail. Une sur sept n’a jamais exercé d’activité professionnelle. Il s’agit donc pour les professionnels de la réinsertion d’inciter à renouer avec la valeur travail afin de favoriser la désistance (c’est-à-dire la sortie de la délinquance).
Travailler en prison doit permettre d’acquérir de l’expérience, utile pour trouver un emploi à la sortie mais aussi découvrir de nouveaux domaines d’activité. Domaines qui doivent être variés, valorisables à l’extérieur et accessibles à toutes les personnes détenues contrairement à aujourd’hui où seules 29% d’entre elles travaillent en détention. Des expériences, le plus souvent émanant des associations, sont menées afin de proposer du travail qualitatif :
- ADCE 83 où des personnes en placement extérieur participent à des actions de prévention incendie ou inondation en région Sud
- Marseille Solutions qui a lancé le projet Les Beaux Mets et forme aux métiers de la restauration les personnes détenues de la prison des Baumettes à Marseille.
- Au centre de détention d’Oermingen, en Alsace, Emmaüs Mundo a créé un chantier d’insertion dans lequel dix personnes en fin de peine sont initiées au travail du bois. Cet atelier a pour vocation de les aider à préparer leur sortie et leur insertion par la remise au travail, l’acquisition de techniques, guidées par un encadrant d’Emmaüs Mundo, spécialiste en ébénisterie et menuiserie.
- Emmaüs Mundo est aussi présent dans la maison d’arrêt de Strasbourg et forme 16 personnes à la réparation de cycles tout en proposant un accompagnement socio-professionnel. A la sortie, la boutique vélo, en ville, peut les embaucher faisant ainsi une passerelle vers le monde extérieur
- l’association Code Phoenix qui forme les personnes détenues au métier de développeur web, métier en forte tension avec 130 000 offres de poste en 2020 sur le marché français.
Les pistes d’amélioration proposées par l’Administration pénitentiaire
L’Administration pénitentiaire a créé en novembre 2018 l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice afin de développer le recours au TIG et le travail des personnes détenues, en qualité comme en quantité. La fin des courtes peines, fortement désocialisantes, répond au même objectif. Claire Nourry, adjointe au directeur, au centre pénitentiaire de Fresnes, rappelle que les contraintes entre les maisons d’arrêt où sont enfermées les personnes en détention provisoire et celles condamnées à des peines de moins de 2 ans ne sont pas les mêmes que celles des établissements pour peines**. Elle précise par ailleurs que le critère des ressources est pris en compte dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, et qu’il faut « proposer une offre de travail la plus variée possible pour ceux qui ont ou n’ont pas de qualification ».
Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, a annoncé en février 2020, la création de trois nouvelles prisons à Arras, Toul et Donchery dont l'objectif affiché est que 100% des personnes détenues soient au travail, en formation ou engagées dans un parcours professionnalisant.
En conclusion, et pour reprendre les propos de Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) et directrice adjointe à la prison de Paris La Santé, le travail en prison est un élément important dans la lutte contre la récidive. Outre le développement d’habilités sociales comme le respect des horaires, de la hiérarchie, du travail en équipe, la formation et l’activité professionnelle sont des facteurs d’insertion économique et sociale et de satisfaction personnelle.
En rapprochant les conditions de travail en prison de celles pratiquées à l’extérieur, on unirait deux mondes qui à l’heure actuelle n’ont que très peu en commun. Créer ce pont, c’est faciliter le passage du dedans au dehors pour toute personne qui a connu un jour la prison et souhaite se réinsérer.
(1) La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a prévu des taux de rémunération horaire indexés sur le SMIC qui varie selon le type d’emploi occupé. Les personnes travaillant en production pour le compte notamment d’entreprises privées doivent percevoir une rémunération horaire brute équivalente à 45 % du SMIC (4,56 € en 2020). Au « service général », le taux varie selon la classification du poste, définie selon le « degré de technicité » des tâches1. En classe III, la plus basse, le taux est à 20 % du SMIC (2,03 €) ; en classe II, 25 % (2,53 €), en classe I, 33 % (3,35 €).
(2) Les établissements pour peine désignent les prisons destinées à recevoir les condamnés à de longues peines d’au moins deux ans.