Jean-Claude était un ancien militaire, marqué par la vie, par l’alcool, par la rue.
Au début, il ne voulait pas me parler, probablement parce que je lui renvoyais une image moins chaleureuse, trop « autoritaire », il n’échangeait qu’avec son référent, Sébastien (éducateur spécialisé qui travaille aujourd’hui au CHRS les Augustins).
Un jour, Jean-Claude est venu me voir, un peu contraint, il avait un souci urgent à régler et Sébastien était parti en vacances. Il n’avait pas trop envie de me parler mais ne pouvait pas attendre le retour de son référent. Il m’a quand même dit bonjour, très formel, « Bonjour Madame », et m’a expliqué qu’il avait un problème avec sa banque. Il s’agissait d’un compte en ligne, un de ces comptes « Nickel » qu’on déteste tous parce que tout se fait à distance, sans interlocuteur. J’ai bien sûr accepté de l’aider : nous avons eu trois rencontres successives, le temps de régler toutes les démarches avec la banque.
Et au troisième rendez-vous, quand tout était enfin résolu, il m’a dit : « Madame, c’est réglé. Et je vais vous dire quelque chose : je ne vous aimais pas. » Je lui ai répondu : « Ce n’est pas grave, Jean-Claude. Je ne suis pas là pour être aimée, je suis là pour aider. » Alors il a baissé les yeux et m’a dit : « Je me suis trompé. Je vous ai mal jugée. Vous êtes super. Je m’excuse. » C’était sincère, touchant. Et à partir de ce jour-là, tout a changé. Il est revenu me voir régulièrement. Il s’autorisait enfin à venir me parler, même quand Sébastien était là. On a commencé à travailler ensemble sur son emploi et son logement.
Jean-Claude avait une grosse problématique d’alcool, mais il faisait des efforts. Il me disait souvent : « Oui Madame, je fais attention. » Il avait ce côté très « militaire » dans sa façon de respecter les règles. Il avait retrouvé un emploi, puis un logement, et il y tenait.
Quand il me croisait à Amiens, il changeait de trottoir pour venir me saluer. Même s’il avait bu, il cachait sa canette et me disait poliment : « Bonjour Madame. » Toujours avec respect.
Un jour, après le décès d’un de ses amis de la rue, il est arrivé à la Passerelle complètement bouleversé, en pleurs, alcoolisé. Il m’a dit : « Najet, je ne veux pas qu’on m’incinère. Je vous le dis à vous, parce que je sais que vous respecterez ma volonté. »
C’était fort, bouleversant. À ce moment-là, il m’a confié quelque chose d’essentiel. Il me faisait confiance. Plus tard, Jean-Claude est décédé à son tour. Son fils a appelé la Passerelle, alors que nous ne connaissions pas la famille. J’ai pu lui transmettre ce que son père m’avait dit. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était important : respecter la parole d’un homme, même après sa mort.
Et c’est ça, la Passerelle.
Ce sont des rencontres humaines profondes, des liens qui ne s’écrivent pas dans un dossier. Des moments qu’on ne voit pas, mais qui comptent. Des histoires de confiance, de dignité, d’espoir.



