Succès qui s’explique par les besoins du territoire mais aussi par le professionnalisme, l’efficacité, la bienveillance et l’humanité de ce cette équipe pluridisciplinaire. Echange avec une partie de l’équipe et une représentante de COALLIA, une structure partenaire bénéficiant des visites des LHSS mobiles.
Valentin, infirmier : Quand on se déplace, notamment dans l’est du département, on est toujours au minimum deux pour des raisons de sécurité. Souvent, on est quatre, et on se divise en binômes pour couvrir un maximum d’usagers dans un même secteur. On travaille en équipe, en lien constant les uns avec les autres, et c’est aussi ça, la richesse du mobile. On ne fait pas de la "maraude" au sens classique du terme. Il peut nous arriver de nous arrêter pour voir certains usagers dans la rue, mais nos principales orientations viennent des Maisons départementales des solidarités et de l’insertion (MDSI) du secteur, des Comités d’action sociale (CAS), des pensions de famille, d’associations qui interviennent dans l’est du territoire, à Amiens métropole et au-delà, mais aussi des gendarmeries de secteur, les polices municipales des différentes communes du département du voisinage, des mairies, …
On commence à être bien identifiés par l’ensemble des partenaires locaux. Aujourd’hui, notre présence est reconnue sur tout un morceau de la sous-préfecture de la Somme.
Nous accompagnons un public qui n’est pas toujours présent au rendez-vous fixé. Donner un rendez-vous, c’est déjà quelque chose de compliqué. La moitié des usagers n’ont pas de téléphone portable, donc on est obligé de passer par des tiers, des personnes externes ou des travailleurs sociaux, ce qui implique des aléas pour transmettre l’information, notamment l’heure précise du rendez-vous. Et même avec tout ça, les personnes ne sont pas forcément là le jour où on se déplace.
Nawal, médiatrice en santé : Comme nous l’évoquions, la gestion de la frustration est un aspect central de notre travail dans ce service. Peut-être un peu moins aujourd’hui, mais à nos débuts, la frustration était fréquente. On se disait souvent : « C’était un rendez-vous très important ! » Par exemple, un rendez-vous en dermatologie, en ophtalmologie, ou dans d’autres spécialités où les délais sont particulièrement longs. Et puis, le jour J, la personne ne se présente pas, ou affirme ne pas avoir été informée. Ce type de situation est récurrent.
La question qui se pose alors est : comment réagir ? Comment rebondir ? Comment recontacter les services pour tenter de trouver une solution ? Ces derniers étant déjà fortement sollicités, ils refusent parfois de reprendre des patients qui n'ont pas honoré leur premier rendez-vous
Isabelle, éducatrice à la pension de famille COALLIA de Péronne : C’est là que le travail social vient renforcer le travail médical. Il y a tout un travail de préparation en amont, d’instauration d’une relation de confiance, qui prend du temps. C’est pour ça qu’on est complémentaires, moi je fais un peu le lien, la coordination, pour que tout se passe au mieux. Mais malgré tous ces efforts, parfois ça ne suffit pas.
Valentin : Et ce phénomène des rendez-vous manqués, c’est malheureusement courant. Ça dépend beaucoup du profil des personnes. Disons qu’environ un quart des rendez-vous sont concernés, parfois plus, parfois moins. Ce n’est pas forcément le premier rendez-vous qui est manqué. Il arrive que la personne soit très régulière pendant cinq ou six rendez-vous, puis qu’elle ne vienne pas au dernier – alors que c’était le plus important.
Mais ce n’est pas parce qu’un rendez-vous est manqué qu’on doit tout arrêter. On recommence. C’est ça, le travail.
Josquin, infirmier : Cela fait deux ans qu’un Monsieur est dans une démarche de soins, sur un parcours compliqué. Et là, il a recommencé les rendez-vous hier. Il est allé jusqu’au bout cette fois : il a l’opération prévue, elle est très proche maintenant.
La première fois, il avait fait tous les examens, sauf le dernier, celui qui devait permettre de signer l'entrée à l’hôpital. Je l’ai accompagné. On est allé au service d’admission pour finaliser l’inscription. Il m’a dit : « Je vais aux toilettes », et quand il est revenu, il a dit : « C’est bon, tu m’inscris, on s’en va. »
Il m’avait déjà posé un lapin la semaine précédente, et encore une fois la semaine d’avant. Tout a été balayé, comme si ça n’avait jamais existé.
Ce monsieur a un caractère difficile. Et à ce moment-là, il était dans une situation extrêmement précaire, plus rien en place, plus aucun repère. Il appelait le 115 régulièrement, il était en grande détresse. L’opération est prévue prochainement. Depuis, je suis en alerte constante. Mais on a réussi à faire toute la constitution du dossier, les examens, tout s’est bien passé. Et c’est ça qui est intéressant aussi : il commence à avoir une vraie conscience de sa santé. Mais ce qui complique les choses, c’est le regard des autres. Ce monsieur arrive souvent alcoolisé, il a eu de nombreux passages aux urgences. Le regard des soignants, médecins et infirmiers, pour lui c’est catastrophique. Sans accompagnement de l’équipe des LHSS mobiles, il ne serait jamais allé au bout de sa démarche, clairement.
Nawal : Et ce n’est pas un cas isolé. C’est là que le rôle de médiateur en santé prend tout son sens. Le mot qui me reste en tête, c’est le libre arbitre. On ne peut pas forcer des adultes à faire quoi que ce soit, la subtilité c’est de les amener à les convaincre des bénéfices de l’accompagnement autant médical que social. La difficulté de l’aller-vers réside dans le fait de ne pas contraindre la personne, tout en lui faisant percevoir les obstacles que nous rencontrons pour organiser un rendez-vous. surtout quand tu t’es battu pour un rendez-vous, et que la personne, au dernier moment, dit : « Je n’ai pas envie. » Alors on essaie de discuter, de comprendre pourquoi. Parfois ça marche, parfois non. Mais on respecte la personne, on respecte son choix. « On se dit on recommencera. »
Parfois, ils refusent parce qu’ils passent par une période difficile, qui leur rappelle des choses douloureuses. Mais quelques mois plus tard, nous réessayons, ou ils reviennent. On recommence. L’accompagnement est renouvelable, deux mois, puis encore deux mois.
Josquin : C’est important de considérer leur choix, de les considérer eux, en tant qu’êtres humains. Et comme Nawal l’a très bien dit, le libre arbitre, c’est essentiel. Mais le regard qu’on leur renvoie fausse tout. Ils sentent ce regard, et il est souvent terrible. Parce que oui, il y a des soignants très bien, heureusement. Mais trop souvent, il reste des comportements déshumanisants. Parfois, on rappelle aux soignants : « Vous avez une personne en face de vous. Ce n’est pas un objet. »
Et c’est pour ça que la relation de confiance, que l’on crée au fil des rendez-vous que nous avons avec eux, est si précieuse.