04/10/2015

Philippe Zoummeroff, écrivain

"On parle souvent de choc carcéral, mais jamais de choc à la sortie de prison. On devrait !"

M. Philippe Zoummeroff, membre de l’Association Française de Criminologie depuis 1999, est venu à s’intéresser aux questions pénales par la bibliophilie. Son site consacré à la justice pénale et à la criminologie fait autorité. Il nous raconte aujourd'hui l'histoire de Tarek.

C'est à la sortie de prison que j'étais venu attendre un garçon avec qui j'avais correspondu pendant plusieurs années. Il en avait pris pour 15 ans. Tarek avait maintenant 45 ans. Il était logé chez une dame patronesse qui hébergeait déjà ses deux enfants : Madame de B.

Tarek me dit : "Tu m'accompagnes ?". "Bien sûr", lui dis-je. Nous arrivâmes devant un bel appartement du 9ème arrondissement. Madame de B.  était là, sourire aux lèvres, avec les 2 enfants de Tarek.

Ce dernier cherchait Jasmina, sa femme : "Où est Jasmina ?

  • Elle est partie depuis un mois. Elle m'a dit qu'elle voulait prendre un peu d'air avant de te revoir, mais elle n'est jamais revenue.
  • Elle a bien laissé une adresse ?
  • Non, c'est moi qui m'occupe de tes enfants."
    Tarek éclata en sanglots. Madame de B. le consola et lui dit qu'il pouvait rester chez elle autant de temps qu'il voulait afin de chercher du travail. Son mari avait une bonne situation, elle était sûre qu'il apprécierait sa décision. "Oui, dit Tarek, je vais chercher du travail".

Bien sûr, en prison, Tarek avait déjà pensé à ce qu'il ferait quand il sortirait. Dans sa jeunesse il avait fait des études qui l'avaient conduit jusqu'au baccalauréat. Il était surtout doué pour l'écriture. Ce qu'il connaissait le mieux c'était la pénitentiaire et la vie très difficile qu'il avait vécue en prison. Il n'avait pas du tout l'intention d'y retourner. Il voulait faire profiter les autres détenus de son expérience pour, plus tard, les empêcher de récidiver.

Il s'intitula pompeusement "conseiller en insertion".
Tarek n'est pas le seul, à la sortie de prison, à vouloir s'investir dans des associations pour aider les détenus. Je peux même vous dire qu'ils sont nombreux, et tous ceux que j'ai rencontrés étaient remarquables de dévouement, pour une rémunération souvent très décevante. Tarek avait été sollicité par des fondations et des associations pour donner des conférences. Cela se passait bien et ses employeurs étaient contents de lui. Il entrevoyait déjà un avenir possible.

Sur ces entrefaites le mari de Madame de B. décida de vendre son appartement, pour des raisons financières.
Dans trois semaines, Tarek et ses deux enfants se trouveraient à la rue. Il en tremblait. Il s'en alla à la mairie pour rencontrer une assistante sociale qui l'informa que ses enfants pourraient être placés à la DDASS. Tarek n'en pouvant plus, il décida de faire un mauvais coup. "Attends", lui dis-je, on va trouver une solution. Près de Cachan, où j'avais fait mes études, je lui procurai un appartement. Tarek commença à remonter la pente, mais il s'aperçut vite qu'il ne pouvait pas vivre uniquement en donnant des conférences dont la demande devenait de plus en plus rare. Il trouva de l'embauche pour construire des caniveaux. Il était costaud, mais le travail au marteau-piqueur l'épuisa très vite : après son passage en prison il n'avait plus de résistance. Il dut abandonner.
Une de ses relations habitait près de Marseille et lui vanta la douceur de vivre dans les petits villages alentours.

Il s'installa à Aubagne avec ses enfants, à environ 20 kilomètres de Marseille. Son ami avait beaucoup de relations. Je l'aidai à trouver un appartement, ce qui n'était pas très difficile. Ses enfants étaient heureux, il faisait beau et la mer n'était pas loin. Très vite il rencontra une femme dont il tomba amoureux et décida de vivre avec elle : Adrienne. Il pensait pouvoir donner des conférences dans la prison de Luyne, près d'Aix-en-Provence ou Pontet près d'Avignon mais il fut tout de suite éconduit. Sa compagne n'avait qu'un petit salaire et il fallait absolument qu'il trouve du travail. Il en trouva chez un ferrailleur mais sans contrat. Le salaire annoncé était faible, mais tant pis ! A la fin du mois, lorsqu'il demanda son dû, son employeur lui dit qu'il fallait attendre un peu, le temps que son chiffre d'affaires remonte. Tarek se mit en colère et comme il n'avait pas de contrat son patron le mit à la porte. Impossible de porter plainte.

Sa compagne qui était bonne cuisinière eut alors l'idée de monter un restaurant.
Ce n'était pas une mauvaise idée, Tarek étant lui aussi bon cuisinier. La banque consentit un prêt modique mais suffisant à Adrienne. Les produits de Tarek et Adrienne furent testés sur les marchés de campagne, avec des retombées très satisfaisantes. Le jour de la signature, le propriétaire ayant appris que Tarek avait fait de la prison refusa catégoriquement de lui louer son local.
Tarek en fit une dépression et disparut "dans la nature".

Quelques jours après je reçus un email de Tarek m'informant que la société ne voulant pas de lui, il allait se venger sur la société. Heureusement, j'avais son mail mais je devenais de plus en plus mal à l'aise car je savais que, celle fois-ci, Tarek était au bout du rouleau.
Je lui répondis qu'une annonce parue dans Le Provençal pourrait l'intéresser. "Reviens, ce sera la dernière fois". Cela faisait maintenant 3 ans que je m'occupais de Tarek et je voyais combien le facteur "chance" joue dans la réinsertion. Si je laissais tomber Tarek maintenant, j'étais sûr qu'il récidiverait. Enfin je rencontrai Tarek. La petite annonce du Provençal était ainsi rédigée : "Gîte de montagne de 50 personnes, ouvert l'hiver et l'été cherche couple pour gestion. Connaissance en cuisine et comptabilité nécessaire." A la lecture de cette annonce le visage de Tarek s'éclaira immédiatement : cela correspondait exactement à leurs compétences, puisqu'Adrienne était titulaire d'un BTS de comptabilité.
J'avais déjà téléphoné à un ami avocat de Digne, et il avait fait le nécessaire afin que rien ne se conclue avant d'avoir rencontré Tarek et Adrienne. Le gîte était situé près de la Foux d'Allos, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Le contact avec le responsable du gîte fut excellent, ils passèrent une demi-journée ensemble. Sur le point de signer un contrat pour une période d'essai de 6 mois, Tarek dit à M. Durand :
"Vous savez, j'ai fait de la prison.

  • Votre passé ne me regarde pas, le fait de me l'avoir dit vous honore, et je pense que nous nous entendrons très bien."
    Il fallait voir les sourires de Tarek et d'Adrienne.

Ainsi se termine l'histoire de Tarek qui aurait pu se terminer très mal. Pratiquement dans cette histoire tous les ingrédients nécessaires à la réinsertion sont réunis : travail, logement, vie familiale, les séquelles de l'enfermement, le casier judiciaire et... la chance.

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