Qu'est ce que la désistance ?
Cette notion a été élaborée dans les années 90 par le criminologue, John Laub, et le sociologue, Robert J.Sampson, tous les deux chercheurs à Harvard, à partir des archives d’un travail initié dans les années 40 par Eleanore et Sheldon Glueck, également criminologistes américains intéressés par les facteurs qui peuvent engendrer la délinquance juvénile. Les deux chercheurs ont pu étudier les données récoltées par le couple sur une large cohorte de 1000 jeunes âgés de 10 à 17 ans, 500 jeunes non-délinquants, 500 jeunes délinquants, et observer sur des décennies les parcours de ceux qui persistaient dans une voie criminelle, malgré un passage en établissement pénitentiaire, et ceux qui ne commettaient pas de nouvelles infractions et retournaient à une vie de citoyen « normal » : la désistance.
Leurs études ont donné lieu à deux ouvrages « La criminalité en devenir : cheminements et points tournants dans la vie » publié en 1995 et « Débuts partagés, vies divergentes : garçons délinquants jusqu’à l’âge de 70 ans » publié en 2006. Leurs recherches et leurs conclusions ont permis de démontrer qu’il n’y a pas de déterminisme social et qu’il est possible de ne pas récidiver et de s’affranchir d’une vie de délinquant ou de criminel.
Depuis, d’autres chercheurs se sont également penchés sur ce qui peut, après la première infraction, favoriser l’engagement dans une carrière de délinquance ou, au contraire, la possibilité de rester sur le droit chemin.
Les dispositifs qui favorisent la désistance
Contrairement à ce qu’on l’on pourrait croire, ce n’est pas parce que des personnes ont été condamnées, incarcérées, qu’elles ont connu la prison, sa surpopulation ou même simplement du sursis qu’elles renonceront à la délinquance après la détention, surtout s’ils n’ont pas bénéficié de mesures éducatives et que leur projet de vie « hors les murs » n’est pas anticipé et construit. La préparation à la sortie est en effet importante pour la réinsertion des personnes dans la société après leur incarcération.
Les raisons principales qui incitent les anciens condamnés à sortir de la délinquance sont : l’accès à un travail stable et gratifiant, l’envie de fonder une famille, une rencontre amoureuse, un déménagement qui permet de se réinventer et de rompre avec des relations toxiques. Travail et liens sociaux offrent les ressources nécessaires pour créer des attaches fortes. John Laub et Robert J.Sampson font le constat que plus ces liens sont de qualité, plus ils sont positifs, plus ils permettent de s’affranchir d’un passé délinquant qui ne respecte pas les règles de la société et de se réinsérer durablement.
S’il n’est en effet pas possible de provoquer un sentiment amoureux, il est possible d’insuffler aux personnes l’envie de réinventer leur vie. C’est ce que nous faisons à l’Îlot. Pour cela, l’Îlot assure un accompagnement à la fois global et personnalisé en travaillant sur les 4 piliers indispensables à la réinsertion : le logement, l’emploi, la santé (santé mentale aussi bien que physique, accès aux soins…), les liens sociaux et familiaux. Chaque personne accueillie à l’Îlot bénéficie d’un accompagnement sur mesure pour l’aider à surmonter les raisons multiples qui l’ont conduite à cette rupture avec la société et à reprendre sa vie en main.
Dans un but de prévention de la récidive, cette méthode d’accompagnement de l’Îlot se fonde sur la bienveillance et l’écoute de la personne ainsi que sur la confiance mutuelle entre accompagné et accompagnant. Mounim Aïssa, formateur à l’Îlot, témoigne : « La confiance, le respect, c'est ce qui fait la différence dans la relation avec eux. J'ai confiance en eux et petit à petit ils ont confiance en moi. Puis il faut leur donner l'envie. Car la plus grosse difficulté pour eux est qu'ils avaient perdu toute notion de projection - en cellule, ils attendent que ça passe- et tout sentiment d'utilité. Ils pensent 'Je suis chômeur, je ne sers à rien'. À cela vous ajoutez la dureté de l'univers carcéral qui fait qu'ils sont allergiques à l'autorité et vous avez devant vous toutes les explications de la difficulté de la réinsertion ».
Le sujet de la désistance en France
En 2014, en lien avec le ministère de la Justice, l’Observatoire de la récidive et de la désistance a été créé avec pour mission d’identifier et d’analyser les données, études et recherches qui portent sur les phénomènes de récidive et de désistance. Il réunit des parlementaires, des membres du CNRS et de l’Université, des magistrats, un représentant d’associations d’aide aux victimes et des représentants des directions et du secrétariat général du ministère de la justice.
Sa mission est de contribuer à la diffusion pédagogique de connaissances sur la récidive et les sorties de délinquance dans le débat public au travers d’un rapport annuel. Mis en place par le Garde-des-Sceaux en 2016, cet observatoire a publié un rapport pour la première fois en 2017. Puis il a été supprimé dans la loi d'accélération et de simplification de l'action publique du 7 décembre 2020 car ses « missions peuvent parfaitement être exercées directement par les services du ministère de la Justice. » (2)
La question de la désistance et de ce qui la favorise est donc désormais présente dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Des chercheurs français, comme Valérian Bénazeth, docteur en sciences politiques, auteur de « Comment s'épuise le crime ? », continuent d’analyser les facteurs qui permettront à davantage de personnes incarcérées ou placées sous main de justice de renoncer à une vie de délinquant car comme le dit Mounim : « Il faut donner une chance à ces personnes car la plupart la saisissent. Le tout est de les accompagner et leur permettre de reprendre confiance en eux ».