Qu’est-ce qui a orienté votre choix de « Travail dirigé » fait l’année dernière pour lequel vous aviez sollicité l’Îlot ?
Élodie : C'était un choix libre dans le cadre du Travail dirigé (TD). On réfléchissait chacune à nos aspirations, et c'était assez compliqué car nous avons toutes des centres d'intérêt différents. Finalement, c'est moi qui ai proposé l'idée de travailler sur la réinsertion des détenus, un sujet qui m'a toujours énormément intéressée. C'est une population dont les questions sont souvent mal comprises ou stigmatisées, et je trouve passionnant d'explorer comment la société appréhende leur réinsertion.
Emma : Comme l'a dit Élodie, ce n'était pas mon premier choix, mais j'ai toujours été intéressée par les questions de justice sociale. J'avais aussi beaucoup de préjugés liés à mon parcours personnel, et je voyais ce sujet comme une opportunité de me déconstruire et d'élargir ma compréhension des réalités du terrain.
Alice : Trouver un thème n’a pas été facile. On avait d'abord pensé à travailler directement avec des détenus en prison, mais c'était trop compliqué au niveau des autorisations. C'est là qu'on a pensé aux associations de réinsertion. Élodie a proposé l'idée, et nous nous y sommes toutes reconnues.
Comment avez-vous choisi de contacter l’Îlot ?
Élodie : J'ai simplement fait une recherche sur Internet avec "association de réinsertion" car je réfléchissais à un stage pour le début de l'année. L'Îlot faisait partie des cinq premières associations qui sont apparues. Nous avons envoyé une demande, et vous nous avez répondu positivement.
Lors de vos visites dans les ateliers et les entretiens, qu'est-ce qui vous a surprises et qu'avez-vous appris ?
Alice : Nous nous sommes réparties en binômes pour assister aux ateliers et aux entretiens d'embauche. J'étais souvent avec Inès, et nous avons eu l'occasion d'observer différents aspects des ateliers.
Inès : J'ai assisté à une visite sur le chantier d’Etap’Web et à des ateliers de l’Atelier qualification-insertion restauration. C'était intéressant de voir comment les personnes sélectionnées évoluaient ensuite. Avec Élodie, nous avons aussi assisté à une réunion avec les encadrants et les Conseillers en insertion professionnelle (CIP). C'était enrichissant d'observer comment les ateliers étaient pensés et adaptés à chaque personne.
Elodie : Nous avons également constaté qu'il pouvait y avoir des interrogations sur la manière d'aborder certains cas. Chaque situation est unique, et les encadrants devaient adapter leurs approches en fonction des personnes.
Alice : J'ai été surprise de découvrir que les premiers ateliers AQI auxquels j’ai assisté ne portaient pas directement sur la restauration - je m’attendais à aller en cuisine – mais portaient sur le savoir être en entreprise et sur l’apprentissage des règles du travail en groupe.
Inès : Ce qui m'a aussi surprise à Etap’Web, c'est qu'il n'y a pas seulement des personnes sous main de justice. Comme Madame CARTAGENA, la responsable des ACI/AQI en Île-de-France, nous l’a expliqué cela permet de ne pas recréer l'atmosphère carcérale et de diversifier les échanges. Et en effet il n’était pas possible de deviner qui était du public justice et qui n’en était pas. Cela permet de ne pas être stigmatisant. J'ai aussi été marquée par l'autonomie dont bénéficient les participants. On leur confie des missions quotidiennes à accomplir, comme s'ils étaient dans une situation professionnelle réelle.
Cela vous a confortées ou remises en question dans vos connaissances sur le monde de la réinsertion ?
Emma : Ça a changé mon regard sur la réinsertion. Au départ, je voyais ça comme un processus plutôt individuel, lié à la volonté personnelle de chacun. Mais sur le terrain, j'ai réalisé qu'il y avait vraiment une forte volonté de la part des personnes suivies de se réinsérer dans la société et de trouver un travail. On a rencontré des personnes qui
étaient là depuis huit mois, voire seize mois. Cela m'a permis de comprendre que les difficultés rencontrées ne viennent pas uniquement d'un manque de volonté personnelle, mais aussi de problèmes structurels liés à l'État ou à la société, comme la difficulté à retrouver un emploi à cause du casier judiciaire. C'était intéressant de voir à quel point les préjugés et la stigmatisation peuvent peser sur leur réinsertion.
Élodie : Ce sujet m'intéressait déjà, mais je n'avais jamais vraiment autant approfondi la question qu’avant notre venue à l’Îlot. En parallèle de notre enquête de terrain, nous avons aussi fait des recherches bibliographiques, ce qui nous a permis de comparer nos observations. On a constaté que les difficultés rencontrées par ces personnes sont multiples et qu'un accompagnement global est nécessaire. On ne peut pas se contenter d'un soutien à la réinsertion professionnelle sans prendre en compte l'accès au logement, la santé et parfois la gestion des addictions ou des troubles psychologiques, comme le fait l’Îlot.
Inès : Ce qui était très enrichissant, c'est qu'avec Alice, nous avons pu donner notre avis pendant les entretiens de recrutement de participants aux ACI et AQI. Nous étions dans la pièce avec deux personnes responsables des entretiens, et lors du débriefing, on nous a demandé ce que nous en pensions. Cela a ajouté une dimension d'observation participante à notre expérience. J'ai remarqué que les membres de l’équipe des ACI/AQI cherchaient surtout des personnes motivées, volontaires.
Alice : Les membres de l’équipe des ACI/AQI cherchaient aussi à maintenir une cohésion sociale au sein du groupe entre sortants de prison et chômeurs longue durée. Leur objectif était de créer un équilibre harmonieux. Certains participants étaient d'anciens détenus, tandis que d'autres étaient encore sous main de justice mais bénéficiaient d’aménagements de peine pour participer aux ateliers. Voir leur évolution au fil du temps était vraiment intéressant.
Depuis, est-ce que votre regard sur les personnes condamnées a changé ?
Emma : J'ai surtout découvert le monde de la réinsertion. On entend souvent parler du milieu carcéral ou des peines avant l'incarcération, mais rarement de l'après. C'est un univers méconnu, une sorte de zone de flou. Cette expérience m'a permis d'en apprendre beaucoup.
Élodie : Pour moi, ce sont avant tout des êtres humains, même s'ils ont pu commettre des crimes ou des délits. Je pense qu'ils ne méritent pas pour autant un mauvais traitement. La question de la surpopulation carcérale actuelle montre bien que les conditions en prison sont déjà extrêmement difficiles. Ils ont droit à une réinsertion. Mon regard sur ces personnes n'a pas changé fondamentalement, mais il s'est affiné.
Quels sont vos projets, vos aspirations ? Est-ce que votre passage à l’Îlot a eu un impact sur cela ?
Emma : Mon objectif initial était de réaliser une enquête sociologique et de découvrir le fonctionnement d’une association dédiée aux sortants de prison, un milieu que je ne connaissais pas. Je voulais aussi réfléchir à la question de la réinsertion et voir si cela pouvait briser certains préjugés. L'expérience a répondu à cette interrogation, même si elle est bien plus vaste que ce que j'imaginais au départ.
Alice : J'aimerais devenir journaliste, donc mener une enquête de terrain en sociologie, même si c'est différent, se rapproche du journalisme. Observer, écouter, s'adapter... ce sont des compétences essentielles pour un journaliste. C'était une initiation enrichissante, et j'ai vraiment appris beaucoup de choses.
Élodie : Comme l'a dit Alice, c'était vraiment dans le cadre d'une enquête sociologique. Personnellement, j'ai toujours voulu travailler dans la diplomatie ou les relations internationales, et cette expérience m'a confortée dans mon intérêt pour les droits humains et le travail de terrain. Cela m'a permis de concrétiser un peu plus mon projet de travailler dans la justice sociale.
Inès : Je n'avais pas d'idée précise de ce que je voulais faire avant, mais découvrir l'accompagnement des Conseillers d'insertion et de probation (CIP) auprès des anciens détenus m'a vraiment marquée. Cela a eu un impact direct sur mes choix de master. J'ai postulé à des masters en politique publique avec une orientation sociale. Je pense que les anciens détenus font partie de ces personnes marginalisées pour lesquelles l'État doit mettre en place des politiques d'accompagnement. Mon projet serait d'intervenir à un niveau plus global, à l'échelle ministérielle par exemple, pour contribuer à l'élaboration de politiques publiques dans ce domaine. J'ai envie de faire beaucoup de choses. La question des personnes marginalisées et du regard de la société sur elles m'intéresse beaucoup. J'aimerais contribuer à améliorer la manière dont la justice traite ces personnes. Car, comme je le disais, la prison n'est pas toujours la solution. Il faudrait repenser l'accompagnement pour éviter les récidives et offrir de vraies perspectives de réinsertion.