La réinsertion commence le jour de la sortie sèche ou en aménagement de peine et doit s’achever par la réinsertion dans la société de tout le monde. Lorsque l’actualité projette au premier plan la politique pénale elle évoque presque exclusivement la surpopulation carcérale et la légèreté des peines, comme si construire des places de prison et augmenter la sévérité des peines encourues contribuaient à diminuer la délinquance et à réduire la récidive. Se concentrer exclusivement sur la prison, sans se pencher sur l’après-prison, c’est occulter l’étape primordiale de la réinsertion qui commence le jour de la sortie sèche ou en aménagement de peine et qui devrait s’achever par la réinsertion dans la société de tout le monde.
L’expérience des associations, comme l'Îlot ou le MRS (Mouvement pour la réinsertion sociale), dans l’accompagnement de ceux qui ont connu la prison et qui souhaitent reprendre pied dans la société autorise à formuler quelques remarques qui peuvent aider à clarifier et élargir le débat.
-
Il est certain que la surpopulation dans les maisons d’arrêt a des conséquences graves sur les conditions de la réinsertion à la sortie car celle-ci est un processus continu et, si une étape ne joue pas son rôle, l’étape suivante est fortement compromise. Promiscuité, mauvaises conditions sanitaires, sous-effectifs dans la surveillance et l’accompagnement sont de toute évidence des facteurs nuisant à la possibilité de réinsertion à la sortie. Il est nécessaire que les conditions de détention respectent les standards d’hygiène, de confort et de dignité de notre temps.
-
Les mesures d’aménagement de peine et les peines alternatives à l’incarcération ont prouvé qu’elles augmentent la probabilité d’une réinsertion réussie et diminuent celle de la récidive. Il ne serait donc pas sain de vouloir construire plus de places de prison si cela se faisait au détriment des possibilités d’aménagement de peine. Les deux dispositifs ont, dans l’état actuel de la société et des lois, leur légitimité et devraient être abordés ensemble, et non pas opposés ou mis en concurrence.
-
Les aménagements de peine, c’est à dire les mesures judiciaires et pénales qui sont exécutées en dehors de la prison, requièrent des moyens spécifiques qui ne sauraient relever tous de l’Administration Pénitentiaire. L’insertion est une chaîne continue qui doit faire appel à des éléments de la société civile. Il s’agit bien, progressivement, d’être capable de s’intégrer dans la société de tout le monde et donc d’organiser la prise de relai des juges et des services d’insertion et de probation par la société : famille si elle est présente, service sociaux du « droit commun », collectivités territoriales, entreprises, organismes de formation ou de logement….
-
Dans cette chaîne de réinsertion, les associations qui sont capables de se situer à l’interface de dialogue et de coopération entre les services judiciaires et la société civile ont un rôle essentiel à remplir. Elles connaissent les situations particulières de ceux qui ont connu la prison, elles sont parties intégrantes de la société civile et elles mobilisent des moyens et des ressources (subventions, bénévolat, dons….) autres que ceux de la justice. Et pourtant, elles sont les grandes absentes de tout le débat actuel comme si l’avenir des détenus à la sortie de prison était de la seule responsabilité de la Justice et de l’action publique. La société toute entière n’est-elle pas concernée par la réinsertion des anciens détenus ?
-
D’un point de vue strictement économique, la construction de prisons et leur fonctionnement sont d’un coût très largement supérieur à ce qui peut être mis en œuvre hors de la prison. Par exemple, les CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) constituent une solution particulièrement adaptée. Leur efficacité pour l’accueil et l’accompagnement d’un très grand nombre d’anciens détenus en fin de peine, en aménagement de peine ou en alternative à de courtes peines est largement prouvée. Alors que leur coût est largement inférieur à celui des prisons, leur création est désormais interdite pour des raisons budgétaires.
Sur la base de ces remarques, on peut se poser quelques questions. -
Ne faut-il pas, lorsque l’on aborde la politique pénale, considérer toute la chaîne, de la sanction à la réinsertion, en mobilisant aussi les moyens nécessaires à la dernière phase de la réinsertion, celle de la sortie de la prison ? C’est la phase où se joue la récidive.
-
Pourquoi, parmi les acteurs de la réinsertion, les associations et à travers elles la société civile, dont c’est aussi la vocation, sont-elles si rarement prises en considération pour la contribution qu’elles apportent ? Ce sont des acteurs déterminants mais trop souvent ignorés.
-
Pourquoi les budgets affectés à l’action des associations (création et fonctionnement) sont-ils en réduction constante depuis quelques années alors que celles-ci répondent le plus souvent au mieux aux exigences de la réinsertion de ceux qui veulent reprendre pied dans la société ? Petites économies, grandes pertes d’efficacité.
Il devrait sembler évident que les graves défis de société comme l’immigration, le chômage, la réinsertion des détenus, doivent devenir, par la mobilisation de toutes les forces vives du pays, la préoccupation de l’ensemble des citoyens et ne pas être considérés comme de la seule responsabilité de l’Etat. Ils méritent d’être abordés dans leur globalité pour que les réponses à apporter soient des réponses de fond, susceptibles d’engendrer des solutions durables et profondes.
Jean Celier, Président de la fondation Îlot Avenir et Président de l'Îlot de 2006 à 2015.